Mettre
en place un championnat de France de football professionnel est une véritable
profanation du statut sacré de l'amateurisme dans notre pays. Les
détracteurs se réjouissent d'une première saison marquée
par des affaires de corruption (déjà !) mais le vainqueur
final est le meilleur club de France, l'Olympique Lillois.
La création d'un championnat
professionnel
La lutte entre partisans de l'amateurisme
et du professionnalisme a animé la vie du football français
depuis ses premiers pas à la fin du dix-neuvième siècle
jusqu'à la création du championnat de France professionnel
en 1932. L'amateurisme représente l'image du football à ses
débuts, c'est à dire, une mode anglaise réservée
à l'élite bourgeoise qui ne doit surtout pas atteindre les
classes populaires. Par antagonisme, le professionnalisme, adopté
dès 1885 en Grande-Bretagne, permet à toute personne de s'adonner
à sa passion alors qu'avec la multiplication des rencontres et des
déplacements, il est de plus en plus difficile de travailler en
parallèle.
La fondation de la Fédération
Française de Football Association (FFFA) en 1919 ne clôt pas
les débats et au contraire, les frictions entre dirigeants s'accroissent.
Les vertus de l'amateurisme, défendues par Frantz Reichel, vice-président
de la FFFA, deviennent obsolètes. Les présidents de clubs
tels Henri Jooris pour Lille et Georges Bayrou pour Sète, plaident
pour la liberté de choix. Enfin, Jules Rimet et Henri Delaunay,
les deux hommes forts de la FFFA, louvoient entre les deux tendances, le
professionnalisme leur fait peur. De 1920 à 1930, l'immobilisme
est de mise. Dans le même temps, le statut du joueur évolue
vers l'amateurisme "marron". Les footballeurs des grandes équipes
touchent des indemnisations forfaitaires pour le remboursement des divers
frais (équipement, déplacement...) et occupent des emplois
privilégiés.
Au début des années
trente, deux journalistes, Gabriel Hanot et Emmanuel Gambardella, tendent
à prouver que le professionnalisme ne peut être qu'une bonne
chose pour le football français. Dans le même temps, Jean-Pierre
Peugeot crée le FC Sochaux et clame haut et fort que ses joueurs
sont rétribués. La coupe Sochaux voit le jour, huit clubs
s'engagent dans cette compétition et, par la même occasion,
dans la voie du professionnalisme. La FFFA est débordée mais
veut continuer à régir l'ensemble du football français.
Pour cela, le Conseil National de la FFFA vote en faveur du statut professionnel
le 17 janvier 1931. Le texte définitif est édicté
le 17 janvier 1932 et stipule la création d'un championnat de France
professionnel pour la saison 1932-33. Sur cinquante candidats, vingt sont
retenus et répartis en deux poules de dix équipes. Le championnat
démarre le 11 septembre 1932 et le premier buteur de l'histoire
est un Autrichien, Klima, qui ouvre la marque sur coup franc pour Antibes
face au Red Star.
Par opposition à la Coupe
de France, le championnat récompensera, dès lors, l'équipe
la plus complète et la plus régulière...
1932-33 : Olympique Lillois
Bilan : 19mj, 15v, 0n, 4d, 45bp,
26bc
Finale : O.Lille bat AS Cannes 4-3
(a.p.)
Effectif : Arnard, Beaucourt, Barrett,
Decottignies, Défossé, Delannoy, De Loose, Lubrez, Lutterlock,
Maïer, McGowan, Meuriss, Thery, Vandevelde, Vandooren, Verga, Wattrelos,
Winckelmans.
Il s'en est fallu de peu pour que
l'Olympique Lillois ne soit jamais champion de France. Au moment de déposer
sa candidature pour faire partie des privilégiés, Henri Jooris
se rétracte, il ne veut pas du professionnalisme mis sur pied par
son grand rival, le président du FC Sète, Georges Bayrou.
Finalement, il est désavoué au sein même de son club,
l'objectif est de damer le pion aux voisins du SC Fives.
Lille fait ses grands débuts,
le 11 septembre 1932, à domicile, face à l'Olympique de Marseille.
Six mille spectateurs assistent à la première défaite
des nordistes par 2 buts à 1. L'Olympique de Marseille s'impose
alors comme le seul véritable concurrent des Lillois qui terminent
les matches aller en leaders incontestés. Le match retour à
Marseille fait couler beaucoup d'encre. En seconde période, des
échauffourées prennent place aux quatre coins du terrain
entre joueurs des deux formations. Les Lillois, sur les conseils de leur
capitaine Winckelmans, protestent contre la violence dont ils sont victimes
en arrêtant tout bonnement de jouer. Mc Gowan, équipier lillois,
se croise les bras en pleine surface de réparation. Le gardien lillois,
Défossé, expédie le ballon dans son propre but. Marseille
gagne par 7 à 0.
Les sanctions pleuvent mais Lille
survole son groupe et s'octroie le droit de disputer la finale, trois journées
avant la fin. L'autre finaliste n'est pas Antibes, déclassé
pour cause de corruption lors de la victoire, 5 à 0, au cours de
la dernière journée face à Fives, mais l'AS Cannes.
Le grand rendez-vous a lieu à Colombes devant 12000 spectateurs.
L'opposition de style est frappante, les Lillois profitent de leurs qualités
physiques et athlétiques pour prendre un avantage de deux buts en
début de match. Cannes refait son retard grâce à la
finesse et à la technique de ses joueurs. Le score est de 3 à
3 lorsque le capitaine lillois, Georges Winckelmans, assène le coup
fatal et donne le premier titre à l'Olympique Lillois.
Lille doit sa victoire à
un effectif d'hommes robustes. Les britanniques Mc Gowan, Barrett et Lutterlock
ont fait parler leur masse physique tout au long de la saison. Les Flandriens
pures souches Défossé, le gardien, Beaucourt et Vandooren
n'ont rien à envier aux Anglais. Le charisme de Jules Vandooren
fait de lui une figure emblématique du football français
de l'époque. Un Tchèque, Varga, amène une petite touche
de technique. Cette victoire de Lille est bien celle du Nord puisque sept
joueurs sont des ch'tis.
Lille est un beau champion de France
pour une épreuve qui a connu un gros succès populaire...
Vivian Massiaux