Hachim Mastour, cobaye de la génération YouTube
Promis à un grand avenir, Hachim Mastour n'a jamais confirmé les attentes placées en lui. Aujourd'hui en Serie C, le milieu offensif de 26 ans est revenu sur son parcours cabossé. Et prévenu la jeune génération.

Que faisiez-vous le 15 juin 1998 ? Vous regardiez probablement l'Angleterre battre la Tunisie (2-0), l'Allemagne arriver à bout des États-Unis (2-0) et la Roumanie calmer la Colombie (1-0) lors de la Coupe du monde en France. Hachim Mastour, lui, voyait le jour à Reggio Emilia.
Son nom, tout le monde ou presque l'a déjà entendu. Tout le monde ou presque l'a déjà oublié. À l'heure où les plus jeunes sont glorifiés après un bon match, l'Italo-Marocain, lui, a été le cobaye. Le patient zéro. Pas un espoir déçu, mais un prototype sacrifié. C'est en tout cas de cette manière qu'il s'est défini dans L'Équipe.
Déjà une star à 14 ans
«À 14 ans, les meilleurs clubs d'Europe me voulaient. J'ai choisi l'AC Milan» , a révélé le milieu offensif. Et presque immédiatement, tout basculait. «La vidéo de mon premier match en jeunes avec Milan est devenue virale sur YouTube. Là, le buzz a vraiment commencé.» Le buzz, c'est un contrat avec Nike et une vidéo avec Neymar. «À 16 ans, j'étais avec l'équipe première, aux côtés de joueurs extraordinaires : Robinho, Kaká, Balotelli.» Puis la sélection marocaine en 2015. «J'étais très heureux. (...) Une période géniale. Tout le monde parlait de moi, j'étais une star. Il y avait beaucoup d'attentes sur moi à chaque match. J'aimais cette pression.»
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Mais déjà, le ver était dans le fruit. Sans le savoir, l'Italo-Marocain courait déjà à sa perte avant même sa majorité. Pas par manque de talent, mais surtout par absence de garde-fous. «La lumière est arrivée trop tôt. J'étais jeune, je ne voyais pas les dangers» , a ruminé celui qui a porté la tunique des Lions de l'Atlas une seule fois dans sa carrière. «Sur les réseaux, on n'a pas la bonne mentalité : il faut s'y exhiber, prouver, on vit pour les autres. Ce n'est pas la réalité.» Le début de la descente aux enfers, sans se douter de quoi que ce soit. «J'étais le premier. Je n'avais pas d'exemple sur lequel me baser, personne ne pouvait me conseiller, m'alerter. J'ai été un crash-test. J'ai ouvert la voie aux autres.»
H. Mastour – «les gens me voyaient comme une machine à fric»
«Je n'étais pas bien entouré. Les gens et le système me voyaient comme une machine à fric, pas comme un garçon qui veut réaliser son rêve» , a regretté le meneur de jeu. Derrière l'enfant-star, il n'y avait ni famille du foot, ni bras autour des épaules. Seulement des contrats et des sourires intéressés. «Moi, je ne pensais qu'au foot. Les gens autour de moi ne me parlaient que pour tirer profit de mon talent ou de mon image.» Ce n'est que plus tard qu'il est parvenu à ouvrir les yeux, mais la machine à broyer s'était déjà emballée. «J'ai cru en eux. En réalité, j'étais leur marionnette.»
Et parfois, même les portes les plus grandes se ferment sans explication. «En 2016, après mon prêt à Malaga, j'étais très proche du Paris Saint-Germain. Le président discutait beaucoup avec mon père. Mais ça a capoté car certaines personnes voulaient tuer ma carrière, parce que je les avais quittées» . À ce moment-là, un virage était possible. Mais encore une fois, ce ne sont pas ses jambes qui ont flanché. «Ce buzz, c'était cool, mais j'ai fini par oublier ma propre vie. Je n'ai pas grandi normalement. Les réseaux sociaux m'ont un peu volé mon enfance, j'ai réalisé avoir grandi sans le moindre ami. Aujourd'hui encore, je n'ai pas d'ami. Si je devais partir en vacances avec quelqu'un, à part ma soeur ou mes parents, je ne saurais pas avec qui.»
Mastour n'a pas abandonné
Libéré par Milan en 2018 après des passages manqués à Malaga et Zwolle, Mastour n'a jamais su rebondir : Lamia, Reggina, Carpi, Zemamra, Union Touarga, seulement des échecs. Partout, le même constat : un joueur en décalage avec son environnement. «Je n'ai jamais trouvé ma place. (...) Peut-être que j'ai fait des mauvais choix. Je suis probablement allé trop vite. Je suis conscient que mon talent est un cadeau de Dieu. S'il m'a donné ces qualités, c'est qu'il a un plan pour moi» , a embrayé le jeune homme, qui tente de se reconstruire mentalement. «J'ai un coach mental, avec lequel je travaille beaucoup sur mon état d'esprit et mes émotions, car j'ai connu un moment de dépression.»
Et malgré l'oubli, il y croit encore. «Je jouais des matchs dans ma tête, avec mon imagination. Je ne m'apitoie pas sur mon sort. Je dois réagir et continuer de m'améliorer. La flamme est toujours là. Je sens que j'ai encore quelque chose à faire et à dire dans le football.» À 26 ans, il a récemment signé à Virtus Vérone, pensionnaire de Serie C. Malgré son parcours semé d'embûches, il pense pouvoir rallumer la flamme, et plus encore. «J'espère trouver le bon club pour progresser, kiffer le foot, et rencontrer un coach pouvant être comme un père spirituel. (...) Peut-être étudier la psychologie, sûrement à cause de tout ce que j'ai vécu.» Il a été un mirage pour une génération. Il espère devenir une boussole pour la suivante.
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