Billet (de C. Barbier) : la classe, Lacazette
Il est de ceux dont on racontera la légende durant des décennies. Porte-étendard d'un Olympique Lyonnais en transition et icône d'une génération sans palmarès, Alexandre Lacazette, qui s'est engagé ce mardi à Neom à l'âge de 34 ans, restera à tout jamais dans les livres qui raconteront les hommes ayant fait l'histoire de son club de coeur.

Le billet d'humeur de Clément Barbier
Une dernière course d'élan depuis les 11 mètres, un contre-pied réussi, trois petits pas sur sa gauche, puis une pose stoïque, statique, regard porté vers l'horizon. Huit ans après son coup de canon lui ayant valu son surnom, Alexandre Lacazette réitérait sa posture de Général. Mais cette fois, le Gone ne venait pas de vaincre les Romains, un jeudi soir de quart de finale de Ligue Europa décousu.
Dans le boucan de son arène préférée – dont il restera à jamais le premier buteur –, le capitaine de l'Olympique Lyonnais tirait sa révérence en s'appropriant son match d'adieu, presque son jubilé, le 17 mai dernier contre Angers, en inscrivant son 200e, puis son 201e but avec son club formateur. Ses coéquipiers, Rayan Cherki le premier, ont réussi leur mission : faire briller Lacazette, pour que cette soirée qui, peut-être, sera la dernière de l'OL en Ligue 1 avant longtemps, ne soit estampillée que du nom de l'attaquant.
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Adoubé Général
On n'accède pas au titre de Général sur un coup de tête. Le domaine aérien n'a de toute façon jamais été le secteur préférentiel de Lacazette. Selon Philippe Genin, le premier à avoir élevé le Gone à ce rang, on le devient en décochant un missile dans la lucarne d'Alisson Becker, lorsque toutes les lumières sont braquées sur vous. Ce 9 mars 2017, le commentateur de beIN Sports allait, sans le savoir, faire rentrer un surnom dans les moeurs – preuve que le Lyonnais n'aura pas laissé indifférent. Or, avant cette promotion ultime, le fantassin avait gravi les échelons dans les régiments d'infanterie.
Il a été l'incarnation d'un club en transition constante, ou en déclin évident, ou les deux, qui n'a de toute façon rien gagné depuis la Coupe de France et le Trophée des Champions en 2012. Les deux seuls titres de «Gwada» – autre surnom hérité de ses origines guadeloupéennes – avec son club formateur. Lacazette a été l'idole d'une génération qui n'a pas connu la gloire, qui a découvert l'OL et ses exploits d'antan lorsqu'une période d'austérité sportive l'a envahi. C'est fort. Très fort. Plus encore lorsque tout le monde – plus et moins jeunes – s'accorde à dire que le nom du Général s'incruste légitimement et allègrement parmi ceux des plus grandes légendes d'un club sept fois champion de France une décennie avant son éclosion.
L'égérie de la formation
C'est ainsi lorsque l'OL décide de faire la part belle à son centre de formation au début des années 2010, quand se concrétise enfin le projet du grand stade, que Lacazette sort de son nid. Lancé chez les pros le 5 mai 2010 contre Auxerre, révélation de la saison suivante grâce à ses entrées décisives en Ligue des Champions, l'avant-centre se retrouve néanmoins déporté sur l'aile par défaut, faute de place dans un axe bouché par Lisandro Lopez, Bafétimbi Gomis et Jimmy Briand. À l'été 2013, le premier s'en va, les deux autres sont écartés (avant d'être réintégrés quelques semaines plus tard) : Lacazette prend l'axe.
Il devient le repère offensif d'un club qui ne recrute plus. Qui fait plus que jamais confiance à ses jeunes pousses florissantes. Ce n'est pas pour rien que Maxime Gonalons (243 matchs en commun), Anthony Lopes (236), Corentin Tolisso (232) et Samuel Umtiti (158), tous formés à Lyon également, sont les quatre joueurs avec lesquels Lacazette a disputé le plus de matchs en carrière. Et le Gone aiguise ses couteaux pour devenir l'une des gâchettes les plus redoutées de l'Hexagone. 22 buts en 2013-2014. 31 l'année d'après, dont 27 en Ligue 1, lui valant le titre de meilleur joueur du championnat au terme d'une saison marquée par la révélation d'un formidable duo avec Nabil Fekir en pointe du 4-4-2 losange d'Hubert Fournier. Chose qu'il est le seul non-Parisien à avoir fait depuis Eden Hazard avec Lille en 2012.
Puis enfin, 23 buts en 2015-2016 et 37 en 2016-2017, dont 28 en 30 matchs de L1, son record personnel. Le 20 mai, lors de la dernière journée de championnat contre Nice, il quitte le terrain en larmes, remplacé par Jordan Ferri à la 86e minute, après avoir inscrit ses 99e et 100e buts en L1. Le Groupama Stadium pensait lui dire adieu, ça ne sera qu'un au revoir. Le 9 juin 2022, ce qui était dans les tuyaux depuis plusieurs jours se confirme devant les yeux des Lyonnais les plus matinaux.
Retour gagnant
Dans la nuit, la capitale des Gaules s'est déguisée. Des banderoles à l'effigie de Lacazette installées un peu partout en centre-ville annoncent que «le Général est de retour». Sarrail, Brosset, André, Mouton-Duvernet, Plessier et Frère, généraux éponymes des rues, sont substitués par Lacazette sur les plaques murales. Cinq ans et un passage plus ou moins réussi à Arsenal plus tard (71 buts et 31 passes décisives en 206 matchs, dans une équipe principalement en fin de cycle), Lacazette est de retour. Celui qui devait symboliser la réussite de la formation lyonnaise se retrouve au coeur d'un autre projet.
À l'heure où l'OL vient de rater une deuxième qualification en Coupe d'Europe en trois ans, la direction compte sur les enfants du club (Corentin Tolisso revient également, et les joueurs du centre prennent plus d'envergure) pour lui permettre d'atteindre à nouveau le pallier qui était le sien quelques années plus tôt. Place à l'ADN OL, dit-on. Bilan ? Complètement raté, Lyon échoue encore à se qualifier pour une compétition européenne. Le Général, lui, avait pourtant mitraillé à tout va. Preuve en est avec la lutte acharnée jusqu'à la dernière journée avec Kylian Mbappé pour le titre de meilleur buteur du championnat. 27 pions au total en L1 pour le Lyonnais.
Parmi lesquels un quadruplé hallucinant contre Montpellier (5-4) pour permettre aux Gones, menés de trois buts à une demi-heure de la fin, de réaliser un improbable renversement de situation. Puis 19 la saison d'après, dont 16 sur les 20 derniers matchs, évidemment indispensables dans cet autre come-back surréaliste ; celui de transformer une 18e et dernière place en une 6e position arrachée sur le gong, synonyme de qualification en Ligue Europa, en seulement cinq mois. Et enfin, 15 buts, là, lors de la saison écoulée.
Une saison de trop nécessaire
Seulement ? Ce ne saurait être le terme interrogatif approprié. Mais c'est le paradoxe Lacazette. La marque des grands en quelque sorte. Pourquoi ? Le Gone a tout de même fini dans le top 5 des meilleurs buteurs du championnat. Pourtant, personne n'osera prétendre que sa saison a été réussie. Aucun débat. Etait-ce celle de trop pour autant ? Personne non plus n'aurait voulu que Lacazette parte au sommet de son art l'été dernier. Cet exercice moins abouti était sans doute nécessaire pour qu'il n'y ait aucun regret à son sujet. Pour que l'OL soit sûr d'avoir profité et exploité un maximum les qualités d'un capitaine usé par sa participation aux Jeux Olympiques de Paris 2024.
Un chant du cygne sans saveur donc ? Discutable mais entendable. Il aurait pourtant dû comporter un maximum de sensations fortes. Sa légende aurait été encore plus grande s'il ne s'était pas passé ce qui s'est produit entre 23h30 et 23h37 le 17 avril dernier à Old Trafford, quelques minutes après son penalty du 4-2 inscrit en seconde période de la prolongation, qui ouvrait en grand les portes des demi-finales de Ligue Europa à un OL réduit à dix. Si le rêve européen s'était poursuivi au-delà de Manchester…
Europe : final countdown
L'histoire européenne du second passage de Lacazette ne se serait peut-être pas terminée comme la première, c'est-à-dire avec la tête dans le maillot, et des larmes qui témoignaient sa tristesse infinie, comme huit ans plus tôt, après la demi-finale retour de C3 face à l'Ajax, où l'OL avait manqué de peu d'arracher la prolongation, et donc l'occasion de se rendre à Stockholm, pour essayer de décrocher un premier titre européen.
Lacazette – et ça n'aura été que partie remise – avait justement décidé de repousser les approches saoudiennes l'été dernier, avec à la clé un contrat de deux ans et un salaire de 30 millions d'euros. Par amour du club et de la ville, certes, et pour honorer son contrat jusqu'au bout afin de jouer une dernière fois la Coupe d'Europe avec son club formateur. Il en sera justement devenu le meilleur buteur sur la scène européenne devant Juninho.
Légende parmi les légendes
Des buts, Lacazette en a collectionné par dizaines, par centaines. 129 en 275 rencontres avant son départ pour Arsenal, puis 72 en 116 matchs depuis son retour. Un total de 201 réalisations en 391 sorties sous la tunique lyonnaise, le rapprochant des 222 unités (en 495 matchs) de Fleury Di Nallo, prince de Gerland dans les années 1960 et au début des années 1970. Lequel devrait donc rester pendant longtemps, et à bien des égards, le meilleur buteur de l'histoire du club…
Voilà, c'est la fin. La fin d'une belle histoire, d'un joueur pas grande gueule, d'un capitaine discret en dehors du terrain, à l'heure où les réseaux sociaux prônent l'instrumentalisation des joueurs à outrance. C'était ça, Lacazette. La classe sur le terrain, la pudeur en dehors. Quand la légende Bernard Lacombe s'en est allée, celle d'Alexandre Lacazette a fini de s'écrire, pour l'éternité. À l'heure où l'OL vit au jour le jour, sans la certitude que le lendemain soit glorieux.
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