Le
Bordeaux, cuvée 1984-85, est un grand cru. Le président Claude
Bez, hiérarque megalo, possède les meilleurs "pieds" français
avec Giresse, Tigana, Lacombe ou Battiston. Aimé Jacquet, jeune
entraîneur, façonne de mains de maître ce millésime.
1984-85 : Girondins de Bordeaux
Bilan : 38mj, 25v, 9n, 4d, 70bp,
27bc, +43
Equipe-type : Dropsy - Thouvenel,
Specht, Battiston, Rohr - Girard, Tigana, Tusseau, Giresse - Lacombe, Muller.
Entr. : Jacquet
Effectif : Audrain(20), Battiston(33),
Chalana(10), Dropsy(38), Gimenez(9), Girard(32), Giresse(36), Hanini(1),
Lacombe(36), Lassagne(11), Lopez(2), Martinez(27), D.Muller(36), Rohr(32),
Specht(38), Thouvenel(32), Tigana(28), Tusseau(35)
Meilleurs buteurs : Lacombe 22 buts
(2ème), Muller 12 buts (16ème), Giresse 11 buts (20ème)
La Société de Gymnastique
et de Tir, dénommée Girondins de Bordeaux, voit le jour en
1881. Le football, après une tentative en 1910, entre au club en
1919 lors d'une fusion avec l'Argus Sport. Les couleurs marine et blanc
sont choisies et le Parc Lescure est construit en 1920. Jusqu'à
la deuxième guerre mondiale, s'ensuit une longue lutte entre différentes
formations pour devenir le club phare de la ville de Bordeaux. Les Girondins
sortent vainqueurs avec une apparition professionnelle peu convaincante
en deuxième division en 1938.
Le football tronqué de la
période de guerre offre une Coupe de France aux Girondins en 1941
et une finale en 1943. Ses premiers véritables lauriers, Bordeaux
les cueille en 1949-50 en remportant le titre l'année de son retour
en première division. L'entraîneur, André Gérard,
et l'ailier hollandais, De Harder, sont les deux fers de lance. Les Girondins
échouent devant Nice en championnat et en Coupe en 1952 et s'inclinent,
de nouveau, en Coupe face à Lille en 1955. La première période
glorieuse du club s'achève en 1956 avec une descente en D2 et trente
années d'inconstance s'annoncent. Bordeaux connaît la D2 jusqu'en
1960 et des saisons sans relief en D1 notamment dans les années
70. Mais, surtout, une étiquette d'éternels seconds colle
à la peau des Bordelais. Deuxièmes du championnat en 1965,
1966 et 1969 ou finalistes de la Coupe en 1964, 1968 et 1969, ils ratent
toujours la dernière marche vers le succès.
Un expert-comptable, Claude Bez,
issu de la petite bourgeoisie locale, se retrouve président du club
en 1978. Il veut doter sa ville d'un grand club et arrive à convaincre
Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, de verser des subventions conséquentes
pour lui permettre d'atteindre son but. Claude Bez aime tout ce qui est
clinquant et Bordeaux rime alors avec transferts mirobolants. Lacombe,
Thouvenel, Gemmrich, Lacuesta, Sahnoun (qui décédera d'une
crise cardiaque en 1980) et Soler rejoignent les Girondins mais les deux
saisons sous la férule de l'entraîneur, Luis Carniglia, sont
très moyennes (dixièmes puis sixièmes). En 1980, Aimé
Jacquet arrive en provenance de Lyon. Ancien joueur de Saint-Étienne,
il a été en contact avec les meilleurs entraîneurs
français, Snella et Batteux. Grâce à une bonne approche
pédagogique favorisant la cohabitation d'une pléiade de vedette,
Jacquet va devenir l'égal de ses maîtres. Les venues de fabuleux
joueurs se poursuivent. Trésor, Domenech, Specht, Girard, Pantelic,
Kourichi, Tigana ou Dieter Muller ne permettent à Bordeaux que d'atteindre
les places d'honneur (deux fois troisième, une fois second). En
1983-84, la défense est stabilisée avec les recrutements
de Battiston et Tusseau. Bordeaux s'empare du titre au goal-average après
une lutte acharnée avec Monaco.
En quelques années, Claude
Bez a recruté tous azimuts. Certains ont réussi, d'autres
ont échoué. L'effectif 1984-85 des Girondins chargé
d'asseoir la suprématie du club est exceptionnel. Aimé Jacquet
s'appuie sur un système défensif sans faille. Dropsy, dans
les buts, vient renforcer ce secteur. En défense centrale, Specht
et Battiston, par leur complémentarité, s'entendent à
merveille. Aux ailes, Rohr est un merveilleux chien de garde des attaquants
adverses et Thouvenel, exemple de combativité, a le profil du latéral
moderne qui n'hésite pas à déborder. Le milieu de
terrain ressemble au carré magique de l'équipe de France
de l'époque. Jacquet peut compter sur trois milieux récupérateurs.
Tusseau, Girard et surtout Tigana, à son firmament, abattent un
travail colossal. Avec une telle assise défensive, les ballons sont
proprement acheminés vers l'attaque. Giresse, meneur de jeu de génie,
n'a plus qu'à sublimer le tout en offrant des passes décisives
à Lacombe, meilleur buteur français de l'histoire, et à
Muller, un Allemand roublard. Le seul raté se nomme Fernando Chalana.
Le Portugais, étincelant à l'Euro 84 et acheté à
prix d'or, ne s'est jamais acclimaté au jeu bordelais.
Un seul raté dans une saison
parfaite, le parcours des Marine et Blanc est éloquent. Les Girondins
ne subissent leur première défaite qu'à la douzième
journée. Pourtant, les Nantais sont des adversaires de valeur puisqu'ils
terminent champions d'automne. Le tournant se situe à la vingt-troisième
journée. Nantes reçoit Bordeaux et s'incline sur un but de
Muller. Nantes décroche, perd des points précieux. Pendant
de temps, Bordeaux conserve la même cadence et s'adjuge le titre
à deux journées de la fin du championnat. Meilleur attaque,
meilleur défense, le club de la Gironde s'est principalement illustré
à domicile avec un bilan incroyable de dix-huit victoires et un
malheureux nul pour le dernier match à Lescure face à Monaco.
A cela, il faut ajouter une session gratifiante de Coupe des Champions,
les Girondins atteignent les demi-finales où ils sont tout proches
de faire tomber la Juventus de Platini.
En 1986, Bordeaux ne gagne que la
Coupe. Giresse s'en va, Claude Bez renouvelle les joueurs et réussit
le doublé en 1987 avec Tigana, les frères Vujovic, Ferreri,
Vercruysse et Fargeon en figures de proue. La suite est moins reluisante.
Claude Bez veut rivaliser avec Bernard Tapie, la course aux millions s'engage.
Bordeaux vit au-dessus de ses moyens, l'acquisition, en 1989, du somptueux
château du Haillan le prouve. Des années moins fastes creusent
le trou financier, l'ardoise est proche des trois cents millions de francs
lorsque Bez est démis de ses fonctions en novembre 1990. Sa folie
des grandeurs a eu raison de lui mais grâce à ce passionné,
la ville de Bordeaux est devenue amoureuse du football. Le club, relégué
en D2, remonte immédiatement et Alain Afflelou redonne des couleurs
et des moyens financiers. Avec Zidane, Lizarazu et Dugarry, Bordeaux atteint
la finale de la coupe UEFA en 1996. Déçu de ne pouvoir garder
ses meilleurs éléments, Afflelou jette l'éponge. L'élan
reste avec le rachat par M6 et Bordeaux retrouve le titre en 1999 sur un
but victorieux de Feindouno à la dernière minute du dernier
match de championnat. Il ne manque plus aux Girondins qu'à confirmer
cette embellie.
Vivian Massiaux