Maroc : Regragui, pression maximale
Deux ans et demi après une épopée planétaire entrée dans l'histoire du football africain, Walid Regragui se retrouve dans le dur. Critiqué pour son style de jeu malgré des résultats satisfaisants, le sélectionneur du Maroc n'a d'autre choix que de remporter la prochaine CAN à domicile.

En décembre 2022, Walid Regragui entrait dans la légende. Demi-finaliste de la Coupe du monde, une première pour un pays africain, il incarnait un Maroc conquérant, tactiquement rigoureux, porté par une génération talentueuse.
Mais l'euphorie est retombée aussi vite qu'elle est montée pour celui qui a remplacé Vahid Halilhodzic dans l'urgence à moins de trois mois du tournoi. Deux ans et demi plus tard, il aborde la CAN 2025 à domicile dans un climat tendu.
Le pacte de Doha
Après l'épopée au Qatar, Regragui ne s'est pas contenté de savourer. Il a voulu aller plus loin. Face caméra, devant une presse galvanisée, il n'avait pas hésité à bomber le torse. «Je veux atteindre au minimum la demi-finale de la prochaine CAN. Sinon je partirai.» Une déclaration aux airs de serment national. Mais l'histoire a mal tourné. Après un premier tour maîtrisé, le Maroc s'est fait surprendre en 8es de finale par l'Afrique du Sud (0-2), en janvier 2024. Logiquement, les observateurs attendaient la suite : sa démission. Un départ qui n'est jamais venu. Regragui s'est accroché à son poste, entre fidélité à son projet et volonté de rachat. Mais il a brisé un lien tacite avec le public.
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Quelques mois plus tôt, il était pourtant revenu sur ses propos très ambitieux, portés par l'euphorie de la Coupe du monde. «J'ai fait une grosse bêtise après la Coupe du monde. J'étais parti avec le public» , avait reconnu le technicien de 49 ans en octobre 2023. Le ton était plus mesuré, presque défensif. Il expliquait alors la complexité de remporter une CAN, bien plus disputée que prévu, et alors que son pays n'a gagné qu'une seule édition, celle de 1976. Une forme d'humilité tardive, mais qui ne suffisait pas à effacer la promesse initiale. Aux yeux de nombreux supporters, Regragui s'était piégé lui-même. Et le crédit qu'il avait engrangé au Qatar s'était érodé.
Gagner sans faire rêver
Depuis la claque subie face aux Bafana Bafana, le Maroc n'a plus perdu un seul match. Le bilan est tout simplement remarquable : 13 victoires, 1 nul, 10 clean-sheet, 12 succès consécutifs. Sur le papier, Regragui tient une équipe compacte, disciplinée, performante. Mais sur le terrain, les critiques fusent. Le jeu est jugé terne, rigide, sans éclat. Pour une génération qui compte des profils explosifs comme Achraf Hakimi, Brahim Diaz, Ismaël Saibari, Osame Sahraoui ou encore Bilal El Khannouss, le public en veut logiquement plus. L'exigence esthétique dépasse l'efficacité brute. Et cette exigence, Regragui l'affronte en frontal : «Vous voulez que je gagne 4-0, 7-0 ? C'est quoi le problème ?» , a lancé le natif de Corbeil-Essonnes après le succès sur le Bénin (1-0), lundi.
«On est la meilleure attaque africaine à l'extérieur. Donc, ceux qui disent qu'on n'attaque pas… Il faut regarder les chiffres pour faire un bon bilan. Je suis ouvert au débat» , a rappelé le Francilien, très offensif face aux journalistes, avant d'enfoncer le clou. «Statistiquement, je suis le meilleur entraîneur de l'histoire du Maroc.» Pour ce fan déclaré de Didier Deschamps, le jeu ne doit pas seulement séduire, il doit rapporter. Et dans ce domaine, ses chiffres parlent. Mais le fond du débat est ailleurs : il ne s'agit pas seulement de gagner, mais de créer un lien émotionnel, un football fédérateur, dans un pays qui adore les artistes et les inspirations libres. Là où Regragui voit une Ferrari efficace, le public voit un bolide qui roule au ralenti. Et ce désaccord alimente la fracture.
Six mois pour éviter le basculement
Avec une CAN organisée à domicile, la première depuis 1988 – remportée cette année-là par le Cameroun – le Maroc n'a plus le droit à l'erreur. Tous les projecteurs seront braqués sur lui. C'est le moment ou jamais de concrétiser les promesses d'une génération dorée qui n'attend que de décrocher le titre continental, d'autant que les équipes de jeunes ont elles fait le travail avec des sacres lors des CAN U17 (2023), U23 (2023), et une finale pour les U20 (2025). «On a rajeuni l'effectif, qualifié une équipe olympique, enchaîné 12 victoires. Ça, personne ne l'a jamais fait» , a martelé le guide des Lions de l'Atlas. Mais ces réussites ne suffiront pas sans un parcours parfait dans un peu plus de six mois. Le Maroc veut vibrer, veut gagner chez lui, le tout avec panache.
La suite dépendra de sa capacité à faire évoluer son modèle. Sacrifiera-t-il la rigueur défensive qui caractérise son style pour amener de la folie offensive ? Poursuivra-t-il son chemin tracé pour ne pas trahir ses idéaux ? Tant de questions qui attendent des réponses. En cas de titre, Regragui deviendra un héros total. En cas d'échec, il deviendra celui qui aura promis sans tenir, celui qui aura trop parlé. «C'est moi qui ai ramené ces joueurs» , a soutenu l'ancien joueur d'Ajaccio, comme s'il avait la volonté de s'approprier les hommes qui composent l'équipe nationale. Il avait promis la lune, touché les étoiles. En janvier, il n'aura plus d'orbite. Juste un trophée à soulever. Ou à laisser filer.
Comprenez-vous l'exigence des supporters marocains vis-à-vis de Walid Regragui ? N'hésitez pas à réagir et débattre dans la zone «Ajouter un commentaire» ...